UNE PRODUCTION RICHE ET DIVERSIFIEE

La grande famille de la céramique : grès, faïence ou porcelaine ?

Le mot céramique tire son origine du grec « keramos » qui signifie argile. Il désigne ainsi l’ensemble des objets fabriqués en terre et ayant subi des transformations physiques et chimiques irréversibles lors de leur cuisson.

Il existe différentes sortes de céramiques : celles conservées dans les réserves des Musées de Sarreguemines illustrent parfaitement la diversité et la richesse de la production de la manufacture aux 19ème et 20ème siècle.

LA FAÏENCE FINE

La faïence fine est une pâte argileuse blanche, opaque, cuite à environ 1 000°C et recouverte d’une glaçure transparente. On ajoute à l’argile différentes matières premières (silex, feldspath, kaolin…) pour varier les types de faïences.

La cuisson se fait en plusieurs temps : une première cuisson de la pâte pour obtenir le biscuit puis d’autres pour la glaçure et le décor.

 LE GRÈS

Le grès est une céramique à pâte dure, faite d’argile et de sable, cuite à haute température (1200/1300°C). Elle subit de ce fait une vitrification naturelle qui la rend imperméable.

À Sarreguemines, on produit essentiellement des grès fins mats, copies des productions du célèbre céramiste anglais Wedgwood ; des grès fins polis imitant les pierres dures comme le jaspe, le porphyre ou encore le basalte et, plus tard, des grès lorrains, vernis au sel.

 LA PORCELAINE

La porcelaine est une pâte blanche, dure et translucide, composée de kaolin, de feldspath et de quartz. Elle est cuite à environ 1300/1400°C. À Sarreguemines, elle coexiste avec une porcelaine dite phosphatique, plus économique, surtout utilisée dans la production des services à café. On y ajoute du phosphate de chaux obtenu par la calcination d’os d’animaux. La température de cuisson est moins élevée. La faïencerie de Sarreguemines a produit de la porcelaine entre les années 1850 et 1940.

Innover et diversifier sa production 

A la fin du 18ème  siècle, les fabricants de faïence prennent pour modèle la blancheur et la finesse de la porcelaine. Dans un premier temps, leurs pâtes sont de couleur crème mais avec les recherches et les progrès réalisés, on atteint une belle blancheur. A Sarreguemines, les premiers décors sont peints. Paul Utzschneider va rapidement introduire des innovations, tant au niveau des pâtes que des techniques de décoration.

Les premiers motifs peints

A l’heure de l’industrialisation, il devient nécessaire de produire en série. Les manufactures mettent au point, vers 1775, une série de motifs à exécution rapide car répétitive : les guirlandes. Ces motifs, qui sont le plus souvent inspirés du monde végétal (laurier, œillet…), permettent une démocratisation des prix et une production à grande échelle.

Les marbrures

Le directeur de la manufacture de Sèvres, Alexandre Brogniart (auteur du Traité des arts céramiques ou des poteries en 1844) visite la faïencerie de Sarreguemines et décrit ce processus qu’il a pu voir en application : « le marbré se fait en mettant des tâches de différentes couleurs sur l’engobe et agitant les pièces de manière à faire épancher ces couleurs dans toutes sortes de directions. Elles forment des veines à la manière du marbre. Le succès de la marbrure dépend du tour de main de l’ouvrier ».

Les arborisations (ou herborisations)

Ce décor consiste à recouvrir les parois extérieures de l’objet d’un engobe ou argile liquide coloré, sur lequel on pose une goutte de colorant qui s’étale en dessinant des silhouettes d’arbres. On appelle parfois ce décor « deuil à la reine » car il évoque les gravures sur lesquelles on aperçoit les profils du roi Louis XVI, de Marie-Antoinette et du dauphin.

Les lustres métalliques

La première référence à l’utilisation des lustres métalliques à Sarreguemines date de 1823. Le support est généralement une faïence fine blanche ou une terre carmélite. Une couche d’oxyde du métal que l’on veut imiter est étendue à sa surface, mélangé à un solvant. La gamme des lustres métalliques en usage à Sarreguemines est importante : or, cuivre, platine et burgos. Ce dernier est obtenu après application d’une préparation d’or sur la pièce et dépôt de gouttelettes d’essence, qui donnent une apparence mouchetée au lustre.

Les grès polis

Paul Utzschneider mène également des recherches sur les grès imitant les pierres dures (porphyre, jaspe…). L’effet s’obtient en mélangeant des terres colorées puis en les cuisant à haute température : la pâte devient alors très résistante, prête à être polie à l’émeri (une pierre abrasive) sur un tour.

Ces objets, d’une qualité exceptionnelle, sont remarqués lors des expositions nationales et permettent à la faïencerie d’obtenir d’importantes commandes de la part de Napoléon Ier dès 1809.

Les terres colorées

Paul Utzschneider met au point une faïence fine de couleur brun-rouge, très résistante à la chaleur. Recouverte d’une glaçure brillante, cette faïence porte le nom de Carmélite. Vers 1830, la faïencerie propose une autre pâte colorée à ses clients : la Terre de Naples, dont le nom provient d’un colorant jaune très utilisé au XVIIIème siècle.

Les grès bruns

Egalement appelés « Terre d’Egypte », ils apparaissent vers 1830 à Sarreguemines. Leur fabrication, qui nécessite un grand savoir-faire, vaut à Paul Utzschneider de nombreuses distinctions, en particulier lors de l’exposition de 1844. La faïencerie produit également une terre noire qui imite les  smearblack  anglais.

La majolique

Cette glaçure colorée apparait vers 1870 à Sarreguemines et recouvre rapidement une grande partie des objets de fantaisie produits en faïence fine. Cette innovation accroit considérablement la renommée de la manufacture, bien au-delà des frontières nationales.

Quelques couleurs sont privilégiée : le gros bleu, le bleu turquoise et le vert dit bronze. Preuve du succès rencontré, la Faïencerie consacre un catalogue entier aux objets en majolique au début du 20ème siècle.

Une « Exposition d’intérêt national »

Le label « Exposition d’intérêt national » a été créé par le ministère de la Culture en 1999 pour mettre en valeur et soutenir des expositions remarquables organisées par les musées de France dans les différentes régions. Elles mettent en lumière des thématiques qui reflètent la richesse et la diversité des collections des musées de France. Ces « Expositions d’intérêt national » s’inscrivent dans le cadre de la politique de démocratisation culturelle menée par le ministère de la Culture. Sur l’ensemble du territoire, ce label récompense un discours muséal innovant, une approche thématique inédite, une scénographie et un dispositif de médiation ayant pour objectif de toucher les publics les plus variés, tout particulièrement dans le cadre de l’éducation artistique et culturelle.

L’exposition « L’art déco s’invite à table » bénéficie de ce prestigieux label.

Par son approche inédite visant à replacer la production de la Faïencerie de Sarreguemines dans un contexte national, elle permettra d’analyser les collections sous un nouvel angle. Les années charnières du retour à la France de l’usine-mère de Sarreguemines et plus généralement de l’entre-deux-guerres sont l’époque idéale pour étudier la stratégie commerciale et la politique artistique de la manufacture.

 Grâce aux prêts consentis par plusieurs musées nationaux, la production sarregueminoise sera mise en regard avec celle des plus grands artistes et/ou designers du début du 19ème siècle pour mieux en apprécier la modernité et identifier les sources d’inspiration des faïenciers locaux.

La porcelaine

Les premiers objets en porcelaine sortent des usines de Sarreguemines vers 1855.

Cette production reste cependant marginale au XIXème siècle et s’arrête avec la Seconde Guerre mondiale. Pendant quelques années, la faïencerie est également propriétaire d’une manufacture de porcelaine à Limoges (de 1867 à 1876). Sarreguemines produit deux types de porcelaine : le parian et la porcelaine phosphatique (bonechina en Angleterre). Cette dernière est très utilisée pour la réalisation de service à thé, à café ou à chocolat. A partir de 1862, la production de porcelaine se diversifie, notamment grâce au rachat de modèles et de décors de la manufacture Vernon à Fismes (créée en 1852 par des anglais, elle doit cesser son activité quelques années plus tard en raison de difficultés financières). Plus de 200 décors portant un nom ou un numéro ont déjà été identifiés pour la porcelaine de Sarreguemines.

Des usages divers

A table !

Le premier quart du 19ème siècle est une période faste pour les arts de la table. La bourgeoisie s’est considérablement enrichie au cours du siècle et se dote, pour ses réceptions, de grands services de table qui deviennent des indicateurs de puissance et de richesse. La production est féconde : plusieurs centaines de décors sont proposés à la clientèle. En cette fin de siècle, certains décors comme Rouen et Papillon créés durant le Second Empire (vers 1860-1870) sont encore très appréciés.

Un grand nombre d’objets compose les services de table à la fin du 19e siècle. La manufacture propose des services pour six, douze, dix-huit ou vingt-quatre couverts. Pour douze couverts, les options offertes sont de soixante-quatorze, quatre-vingt-dix ou cent seize pièces.

Découvrez ici les différents objets qui composent les services de table produits par la faïencerie de Sarreguemines.

Plutôt thé, café ou chocolat ?                       

Vers la fin du 17ème siècle, trois nouvelles boissons révolutionnent les habitudes : le café, le thé et le chocolat. Toutes les cours royales européennes consomment désormais ces breuvages venus d’ailleurs. Peu à peu, cette mode se répand dans la société jusqu’à entrer de manière durable dans les pratiques alimentaires des Européens, entraînant la fabrication d’objets spécialisés pour la préparation et la dégustation de ces boissons.

Au 19ème siècle, le café connaît un très grand succès dès lors que son prix baisse. Pour le présenter aux invités, on fait usage de services à café qui se composent d’une cafetière, une laitière, douze tasses et leurs soucoupes ainsi qu’un sucrier.

Dès la fin de ce siècle, le service du thé prend de l’ampleur. Il nécessite assiettes, couverts, verres et plats pour la consommation des gâteaux, des sucreries, des fruits et des sirops qui accompagnent le thé.

La consommation du chocolat, plus rare que le thé et le café, nécessite de posséder une chocolatière. Initialement conçues en métal, les chocolatières sont fabriquées en porcelaine dès les premières années du 18e siècle. C’est Mme de Pompadour qui commande le premier service à chocolat en porcelaine à la manufacture de Sèvres.

THÉIÈRE OU CAFETIÈRE ?

A l’origine, la théière est assez petite car elle sert seulement à verser l’eau sur les feuilles de thé mises dans la tasse. A partir du moment où les consommateurs placent directement les feuilles de thé dans la théière, celle-ci s’agrandit. Au 19ème siècle, on la rend plus fonctionnelle encore en aménageant, à la base du goulot, un filtre percé de petits trous qui retient les feuilles lorsque l’on verse la boisson.

La cafetière est généralement de forme haute, avec un bec verseur placé le plus loin possible du fond pour empêcher le marc d’être emporté lorsqu’on verse le café. Sarreguemines produit, dès ses débuts, des services à cafés.

Les assiettes historiées

La faïencerie de Sarreguemines a produit plus de 300 séries d’assiettes historiées au cours de son histoire (soit plus de 4 000 vignettes) : il s’agit essentiellement d’assiettes à dessert, dont la composition évolue au fil du temps. La plupart des séries comportent 12 pièces.

Cette production est rendue possible grâce au transfert d’impression, utilisée à la manufacture dès les années 1830. Cette technique a l’avantage d’être rapide et permet de produire en série, à moindre coût. Cela s’inscrit également dans un contexte plus général marqué par l’engouement du public pour l’image, sur tout type de support.

Durant les premières années, seul le bassin de l’assiette est décoré. Les décors s’enrichissent dans les années 1840, avec l’ajout de frises stylisées sur les ailes. A la fin du siècle, le décor « lentille » apparaît : les assiettes n’ont plus d’aile et la vignette occupe l’ensemble de l’espace.

La manufacture sélectionne soigneusement les thématiques à reproduire sur les assiettes, afin que ces dernières plaisent à un public le plus large possible. Elles deviennent ainsi de véritables objets décoratifs, mis en valeur sur les vaisseliers et les buffets.

L’art religieux dans la production de la faïencerie

Les bouleversements de la Révolution industrielle ont des effets sur l’art funéraire. Le statut social transparaît dans la vie quotidienne mais aussi dans la façon dont on considère les défunts : dans les cimetières les statues, les céramiques et les mosaïques se multiplient. Les objets funéraires se démocratisent au fil du temps : des pièces fabriquées en série et disponibles sur catalogue apparaissent, à côté des productions artistiques, plus luxueuses.

La céramique est très présente dans l’art religieux. Les divers objets (bénitiers, statuettes, assiettes…) ont également une fonction décorative et témoignent de la piété des français à cette époque.

Les bénitiers à usage domestique se retrouvent dans tous les milieux catholiques, quelle que soit l’origine sociale. Certains disposent d’un anneau, destiné à accueillir le buis béni lors du dimanche des Rameaux. Ils sont fréquemment décorés d’un crucifix ou d’une représentation de la Vierge Marie. Les bénitiers apparaissent dès 1810 dans le catalogue des prix de la manufacture de Sarreguemines, en trois modèles. Certaines illustrations sont inspirées des grands tableaux des peintres de la Renaissance italienne.

Se chauffer et s'éclairer

Dès ses débuts, la faïencerie de Sarreguemines produit des objets destinés à l’éclairage et au chauffage : on retrouve notamment des chandeliers (dès 1801) puis des lampes à pétrole. Ces dernières sont, pour certaines, richement décorées et rencontrent du succès. A la fin du siècle on voit apparaître, entre autres, des lampes ou des bouilloires en céramique.

Les formes et les couleurs de ces objets utilitaires sont étudiées avec soin, leur permettant de s’intégrer parfaitement à la décoration intérieure des demeures.

Les poêles et les cheminées sont des éléments importants dans la production de la faïencerie. L’offre est très diversifiée et s’adapte aux demandes de la clientèle : les poêles existent en une multitude de teintes et de décors et peuvent ainsi être assortis aux tapisseries présentes dans les foyers. Deux catalogues, édités au début du XX° siècle leur sont entièrement consacrés.

Sous l’Annexion, la Renaissance allemande influence beaucoup la production artistique : les formes et les décors s’inspirent largement des poêles de Nuremberg. On retrouve aussi des décors floraux (glycines, chardons…), à l’époque où triomphe l’Art nouveau.

La céramique d'architecture

Dans le dernier quart du 19ème siècle, les architectes n’hésitent plus à utiliser la céramique dans un but décoratif, sur les façades notamment. Les expositions universelles ou spécialisées relayent largement cette nouvelle tendance.

Sous l’influence des théories hygiénistes, des nouvelles pratiques commerciales et grâce aux progrès techniques, la production de carreaux se développe considérablement. Ils décorent désormais les lieux publics, les commerces et les demeures privées. En plus des aspects pratiques (la surface lisse et émaillée du carrelage en facilite l’entretien), ils ont l’avantage d’être un excellent vecteur de communication et permettent de promouvoir un corps de métier, un commerce, une destination touristique…Certains panneaux, de plus petite taille, participent à la décoration intérieure des demeures bourgeoises.

Dès le début des années 1880, la faïencerie de Sarreguemines produit des carreaux décorés, en sollicitant parfois des artistes célèbres (Schuller, Simas, Quost…). A côté des œuvres spécifiques nées de commandes particulières, il existe des motifs courants et des frises proposées dans les catalogues. Cette production cesse dans l’entre-deux guerres : seuls des carreaux courants sortent encore des ateliers après les années 1940.

La production d'hygiène

Au 19ème siècle, l’hygiène devient une préoccupation majeure. La prise en charge de ces questions par les pouvoirs publics se traduit par des travaux d’urbanisme et d’assainissement (distribution d’eau potable, tout-à-l’égout…) mais aussi par l’instauration progressive des pratiques d’hygiène dans les hôpitaux, l’armée et les prisons ainsi que leur diffusion par le biais de l’école, la presse, la publicité.

La demande en articles d’hygiène et bientôt en équipements sanitaires s’accroît. La faïencerie développe sa production pour répondre à ces nouveaux besoins : dès ses origines, on retrouve des articles d’hygiène dans les catalogues de vente. Des pots de chambre, des bidets, des crachoirs, des aiguières et des cuvettes mais aussi des plats à barbe sont disponibles en différentes tailles.

La gamme s’enrichit rapidement et, vers 1840, des objets plus diversifiés apparaissent (porte-savons, boites à poudre, porte-peignes ainsi que des pots à pharmacie, à pommade…) avec de multiples formes et décors, suivant l’évolution des styles.

En savoir plus sur la production d'hygiène de la faïencerie

L'art et l'industrie...

Au 19ème siècle, de petits ateliers artistiques apparaissent au sein des grandes industries. A côté de la production en série, des lignes en édition limitée voient le jour, sous la direction d’artistes renommés.

Ainsi, dans l’usine de Digoin, l’artiste Auclerc se voit confier vers 1896 la direction de l’atelier artistique. Il créé la ligne Revernay, du nom de la maison du directeur du site. Les grès qui en sortent ont des formes simples, un tesson épais et sont recouverts de coulures d’email. Cette production cesse pendant la Seconde Guerre mondiale avant de renaître dans les années 1950. La faïence remplace alors le grès.

A Sarreguemines la gamme Kremlin, lancée vers 1905-1908, s’inspire quant à elle de l’art populaire. La terre carmélite utilisée pour cette production se rapproche des poteries traditionnelles en terre cuite. Les formes sont simples. Une seule des pièces connues est signée par son créateur : il s’agit d’Alphonse Charles Klebaur, un artiste alsacien né à Colmar en 1884. Ce dernier est le chef artistique de la manufacture de Sarreguemines de 1908 à 1919.

Régulièrement, la faïencerie emploie des artistes de renom pour l’atelier artistique. On y retrouve, entre autres, Victor Kremer (on compte plus de 170 objets portant sa signature dans le catalogue de la manufacture) ou encore Ernest Quost.